VOYAGE INTERNAUTIQUE 

 

C'est en juin 1999 que je fus embauché comme internaute par la MicroToul. Le contrat fut conclu dans un hôtel de la place Wilson à Toulouse, dans un de ces petits salons particuliers réservés aux résidents des grosses firmes. Après un cours entretien sur le monde informatique en général, et la signature de papiers d'engagements mutuels, il s'ensuivit un repas où l'on me donna les premières directives.

Mon travail, plutôt bien payé, consistait à identifier et télécharger les fichiers MPB4 du réseau mondial de communication @-NET. Je disposais pour cela d'un gros ordinateur qu'ils avaient installé à mon domicile.

Je me mis au travail.

Il fallait trouver des stratégies pour accéder aux fichiers MPB4 partout dans le monde, élaborer des programmes de recherche qui tiennent compte de leur configuration particulière, enfin communiquer par E-mail chaque semaine le résultat de mes recherches via FTP au centre informatique de la firme.

A priori, rien ne permettait de différencier un fichier MPB4 d'un fichier de type Text. Ils étaient de plus cachés, enfouis au sein de répertoires énormes qui n'en finissaient pas de s'ouvrir et de faire des branches. Il fallait explorer toute cette arborescence et repérer les signes et outils du langage particulier de programmation des MPB4. Pour compliquer encore un peu les choses, ce langage se révéla être assez proche de nombreux autres langages de type @-Text, très employés.

Dans un premier temps, j'automatisais la procédure d'ouverture des dossiers et trouvais un moyen de visualiser simplement leur schéma d'arborescence. Je dus ensuite trouver un moyen de marquer les zones visitées.

Statistiquement, un fichier MPB4 contient environ 7 pour cent de signes @ de plus qu'un autre fichier de type @-Text, pour un nombre de signes égal. Là encore un programme de visualisation automatique sur colonnes comparatives me permit d'augmenter la découverte de MP4.

Au mois d'août, les procédures étaient suffisamment automatisées pour passer à un stade de production rationnelle. Je demandais un bureau et fis engager des internautes qui visitaient "au kilomètre", et téléchargeaient les fichiers sans même rien connaître de l'existence du langage des fichiers MPB4. La première partie de mon travail s'acheva ici et l'on m'accorda une pause. De nouvelles directives me seraient données à mon retour.

Je partis en famille au bord de la mer.

Dans une des valises, j'avais emporté un ordinateur portable et des boites de CDs chargés de fichiers MPB4. Les après midis, quand ils étaient tous à la plage, je restais au camping et tentais de comprendre leur logique, de déterminer leur contenu. Le directeur m'avait seulement demander de ne révéler à personne leur existence. Cette atmosphère de secret m'avait certes bien plu mais aussi intrigué bien sûr.

Normalement, il m'était d'ailleurs interdit par contrat oral d'en faire des copies. Les fichiers chargés sur le disque dur auraient du être effacés après leur téléchargement sur le serveur de MicroToul. Mais comme mon ordinateur de recherche avait été parfois déconnecté du Réseau, la tentation avait été trop forte de copier ces fameux fichiers MPB4 sur CD-ROM. Je m'en étais donc fait un stock pour le camping en bord de mer, où je pourrais les consulter en toute quiétude.

Par prudence, je détruisis d'abord les CDs et sauvegardais les données en les codifiant sous la forme d'un jeu qui avait toute l'apparence d'une variante de Tétris, et que je nommais Sirtèt. Mais, malgré tous mes efforts, il me fut impossible de comprendre le contenu qui se rattachait aux données.

De retour chez moi, mon directeur me convoqua dans les bureaux de recherche MPB4 et me fit part de la suite de mon travail: il me fallait maintenant accéder aux codes-sources de ce langage, puis créer des fichiers MPB4 sur la base de données chiffrées que l'on me fournirait. On me fournit pour cela des CDs de fichiers MPB4, mais remplies de données très simples. Je pouvais toujours, bien sûr, accéder au programmes de téléchargement des fichiers circulant sur le Réseau.

Je décidais de pousser plus loin ma curiosité sur les contenus de ces fichiers et demandais au directeur de m'éclairer un peu sur la finalité de tout ce travail. Il me fut répondu que le MPB4 servait à véhiculer des informations essentielles sur des intérêts importants, mais qu'en raison de leur confidentialité, et malgré mes bonnes intentions évidentes, le contenu de ces fichiers ne pouvait absolument pas m'être communiqué. Après quelques échanges sur ce ton, il m'avoua aussi que lui-même ne connaissait que très imparfaitement les tenants et aboutissants de ce travail. De plus, la société MicroToul n'était là que prestataire de service pour une société qui souhaitait l'anonymat par contrat et les payaient très bien. Il se devait donc de respecter la confidentialité des données et contenus. Avais-je un doute sur le bien fondé de nos démarches?

Je répondis que non, bien sûr, qu'il ne fallait voir là qu'une curiosité mal placée, motivée par la frustration de ne pas comprendre la totalité des choses, l'impression de n'être qu'un rouage à la fonction trop mécanique... Mais rien de bien grave, un petit malaise passager.